- 9 Mai 2023 - Jardin botanique : Actualités horticoles, Espace pour la vie, Mon jardin
Le pissenlit fait un retour en force depuis quelques années.
Après avoir longtemps été boudé, le pissenlit, ou dent-de-lion (Taraxacum officinale), symbolise maintenant la nature dans nos pelouses. Bien que la plante ait la réputation d’être envahissante, on lui accorde de nombreuses vertus : à la fois comestible et médicinale, elle fleurit tôt et attire des pollinisateurs au moment où nos jardins ne sont pas encore à leur pleine floraison. Ajoutons à cela le plaisir que l’on a à faire un vœu en soufflant sur ses fruits munis de soies s en forme de parachute.
Avouons-le, le pissenlit a tout pour devenir le porte-étendard d’un mouvement qui prône de laisser nos pelouses pousser librement au printemps. Le concept simplifié est le suivant : laissons fleurir les pissenlits et leurs fleurs nourriront les pollinisateurs que nous souhaitons protéger.
L’idée semble bonne, mais qu’en est-il vraiment?
Les deux côtés de la médaille
Je vous propose de revisiter les trois principaux arguments qui nous encouragent à tondre moins notre pelouse au printemps tout en y apportant des nuances importantes.
1. Moins tondre permet de soutenir la biodiversité
La majorité des gazons est composée de graminées comme le pâturin des prés. C’est d’ailleurs la plante ornementale la plus cultivée au Canada. Confortable pour les pieds et très esthétique, elle est parfois aspergée d’herbicides (même si les réglementations évoluent) afin d’éliminer toute forme de compétition avec d’autres plantes et ainsi créer une pelouse parfaite et uniforme.
Pour plusieurs, toute autre plante qui y pousse est considérée comme une mauvaise herbe. Pourtant, il est raisonnable de croire que la présence de fleurs variées devrait contribuer à héberger et nourrir la biodiversité locale. On peut penser au trèfle blanc, à la brunelle commune ou aux fraises sauvages pour augmenter la valeur écologique de notre terrain gazonné. Ce nouvel habitat, s'apparentant un peu à une prairie, peut également abriter des insectes prédateurs qui consomment à leur tour des insectes nuisibles. C’est un écosystème à petite échelle.
Toutefois, dans plusieurs zones de l’Amérique du Nord, un visiteur indésirable peut se cacher parmi les herbes hautes : la tique à pattes noires. Si celle-ci est infectée par un parasite, sa morsure peut transmettre la maladie de Lyme. Le mois de mai est d’ailleurs le mois de la sensibilisation à la maladie de Lyme. C’est un enjeu de santé sérieux à considérer pour les terrains que nous fréquentons, particulièrement en dehors des centres urbains où le taux d’incidence est plus élevé.
2. Moins tondre la pelouse permet d’économiser à plusieurs niveaux
L’idée d’éviter de tondre au printemps paraît simple. Pour une municipalité, cela peut signifier notamment moins de main-d'œuvre à rémunérer. De plus, sachant que la majorité des tondeuses ont encore des moteurs à essence (parfois très polluants), moins tondre pourrait avoir un impact important sur la qualité de l’air. Le hic est que tailler ensuite un terrain dont les herbes sont plus hautes peut s’avérer difficile, voire impossible, avec une tondeuse traditionnelle. Il faut aussi enlever les amas de gazon coupé afin d’éviter d’étouffer la pelouse en dessous.
Finalement, l’absence de tonte va permettre à de nombreuses plantes de monter en graines et de se répandre, et certaines pourraient finir par dominer la pelouse qui deviendrait alors moins diversifiée. Ceci est sans parler du pollen allergène de certaines graminées qui est normalement limité par la tonte.
En résumé, il faut prévoir qu’un travail important devra être effectué plus tard dans la saison.
3. Les pissenlits, une source précieuse de nourriture
Alors que peu de fleurs sont disponibles au mois de mai, de nombreux terrains gazonnés regorgent de fleurs jaunes. Depuis quelques années, on nous encourage à les préserver en brandissant le fait qu’il s’agit d’une source de nourriture (pollen et nectar) précieuse, car c’est une des seules fleurs à cette période.
Cependant, en fouillant dans la littérature scientifique, on trouve des études1 qui remettent en doute cette affirmation. Sans tirer de conclusion, il apparaît raisonnable de réfléchir à ces enjeux. Selon certains, le pollen fourni par les pissenlits ne serait pas de qualité optimale pour les pollinisateurs indigènes de l’Amérique du Nord. Une partie de l’explication pourrait venir du fait que Taraxacum officinale (l’espèce la plus commune) est originaire d’Eurasie et que les insectes indigènes de nos régions ont co-évolué avec les espèces végétales locales. Une autre étude suggère2 même que le pissenlit libère des substances allélopathiques dans le sol, ce qui inhibe la croissance des autres végétaux, donc réduit la diversité de nos pelouses.
Alors, quelles sont les leçons à tirer?
Pousse mais pousse égal
Le message à retenir n’est pas de laisser pousser la pelouse sans limites ou encore moins que les pissenlits sauveront, à eux seuls, les populations d'abeilles. En fait, le message à retenir est selon nous le suivant : lorsque les usages le permettent, les pratiques d’entretien devront être révisées pour développer le « réflexe pollinisateur » (plan Montréal : territoire de biodiversité par la protection des pollinisateurs 2022-2027). On parle ici, notamment de la gestion différenciée, qui consiste à pratiquer un entretien adapté des espaces verts selon leurs caractéristiques et leurs usages.3 Pour une pelouse résidentielle, il pourrait s'agir de retarder la première tonte au printemps pour laisser fleurir les premiers pissenlits et d'éviter les tontes très courtes par la suite.
Certains terrains sont des espaces nécessaires pour pratiquer des activités extérieures. Ont-ils besoin d'être maintenus en monocultures? La réponse est évidemment non. Mais si on néglige leur entretien, des enjeux sérieux pourraient survenir.
Pour ce qui est des pelouses purement ornementales, la possibilité de créer des habitats diversifiés qui répondent aux besoins de plusieurs êtres vivants devrait être considérée. Une des solutions est de remplacer les pelouses inutilisées par des jardins comportant plusieurs végétaux indigènes.
Bien que le pissenlit soit un excellent porte-étendard, nos pollinisateurs ont besoin de plus qu’une pelouse garnie de ces fleurs jaunes afin d’effectuer un retour dans nos milieux de vie. Certains arbres comme l’érable rouge (Acer rubrum) fleurissent tôt au printemps et offrent une excellente source de nectar et de pollen aux pollinisateurs. De nombreux autres végétaux indigènes fleurissent très tôt eux aussi, pourquoi ne pas les intégrer à votre terrain?
Finalement, en participant au programme Mon jardin, vous pourriez mettre vos espaces verts au service de la biodiversité.
Légende :
1 https://academic.oup.com/jee/article/63/1/215/798721
3 La gestion différenciée dans Rosemont–La Petite-Patrie
Pour en savoir plus :