- 5 Juin 2024 - Jardin botanique : Actualités horticoles
Le système alimentaire s’est rapidement industrialisé au tournant des années 1960. Cette période, surnommée la révolution verte, est caractérisée par l’amélioration des techniques d’irrigation, la mécanisation, l’utilisation d’engrais d’origine minérale et des pesticides. Cette révolution est également propulsée par le développement de variétés plus productives. Toutes ces innovations provoquent une forte augmentation de la productivité et modifient profondément le monde agricole1. Bien sûr, d’incalculables impacts environnementaux en découlent, mais il est maintenant possible de nourrir plus de gens en cultivant les mêmes superficies.
Ces innovations agricoles ont-elles eu un impact sur la qualité nutritive des produits de la récolte? Il n’est pas rare de lire ou d’entendre l’affirmation suivante : « les fruits et légumes étaient plus nutritifs avant ».
Mais qu’en est-il réellement? Quels sont les facteurs qui expliqueraient ces changements et quelles sont les nuances à considérer pour bien comprendre la situation?
Une pomme par jour éloigne-t-elle vraiment le médecin pour toujours?
Selon plusieurs études, certains fruits et légumes consommés actuellement auraient perdu un pourcentage significatif de leur valeur nutritionnelle en comparaison à ceux cultivés avant.
Le National Geographic nous dit par exemple que « depuis 70 ans, notre système agricole de plus en plus intensif entraîne une diminution importante des nutriments présents dans nos assiettes.2 ».
Alors, devrons-nous compter deux pommes par jour afin d’éloigner le docteur?
Explorons les 3 principales causes qui expliqueraient cette baisse nutritive :
Des récoltes plus grosses, mais moins nutritives
Une des innovations majeures dont il est question est le développement de nouvelles variétés plus productives. Mais il semble y avoir un compromis, certaines études parlent d’une baisse significative de la valeur nutritive de certaines récoltes3.
Une étude abordant l’effet de dilution démontre « une relation inversement proportionnelle entre le rendement et la concentration des minéraux et des protéines4 » On y découvre que les variétés plus productives sont moins concentrées en minéraux, d’où l’expression : effet dilution.
L’hybridation
L’hybridation consiste à créer de nouvelles variétés de plantes en forçant des croisements. Alors les processus menant à des OMG nécessitent l’ajout de gènes (en laboratoire), l’hybridation tente d’accentuer des traits naturels déjà présents sur les végétaux via une pollinisation forcée par exemple.
On peut penser à des variétés plus résistantes aux maladies, à des fruits plus sucrés, colorés ou résistants au transport et à l’entreposage. Les exemples sont infinis, mais la logique est la même : produire plus, diminuer les pertes pour maximiser l’industrie, et ce, du champ à l’assiette, en passant par la récolte et l’entreposage.
La dégradation des sols
La composition et la structure des sols se sont modifiées avec l’agriculture intensive.
Le labourage mécanique, l’épandage d’engrais et de pesticides de synthèses sont évidemment pointés du doigt. On assiste à un lessivage des nutriments et une diminution de la biodiversité des sols. Ces derniers, appauvris, réduiraient la capacité des plantes à absorber certains nutriments5.
Ce n’est pas tout. Des changements dans la composition de l’atmosphère semblent aussi affecter les plantes.
La concentration de CO2 dans l’air
Un autre signal alarmant provient d’une étude faisant état d’une baisse de la teneur en zinc, en fer et en protéines pour certaines cultures de légumineuses et de céréales6.
Cette baisse serait liée à l’augmentation des niveaux de CO2. On parle ici de végétaux utilisant la photosynthèse comme les cultures de riz, de blé et de soya dont dépendent des populations entières (fixation du carbone en C3).
Des études à prendre avec un grain de sel
Bien qu’une abondance d’études et d’articles pointe vers le fait que la valeur nutritive de nos aliments ait diminué, certaines critiques s’élèvent pour apporter des nuances11. On reproche à ces études d’être parfois mal interprétées ou exagérées et de ne se concentrer que sur certains minéraux ou vitamines. De plus, comparer les valeurs nutritives d’une époque à l’autre s’avère difficile, car les méthodes d’analyse ont énormément changé7. Mentionnons qu’il existe, naturellement, une variation très importante entre les variétés et selon la provenance des produits analysés (entre les pommes par exemple)8-9. Aussi, la valeur nutritive des aliments peut grandement varier en fonction de la fraîcheur et de la conservation10.
Il n’en demeure pas moins que nous avons complètement bouleversé l’agriculture au nom de la croissance et que malgré l’absence de consensus, les signaux sont alarmants.
La rigueur scientifique et le principe de précaution nous invitent donc à plus de vigilance tout en poursuivant les études. Malgré les doutes qui persistent, manger des fruits et des légumes en quantité suffisante reste une saine habitude pour la santé. Les impacts sur les écosystèmes, eux, sont bien réels.
Alors que la population continue d’augmenter, quelles seront les prochaines innovations nécessaires pour s’assurer de nourrir tout le monde?
Sources
- La révolution verte et la naissance du système alimentaire industrialisé - Les Greniers d'Abondance (resiliencealimentaire.org)
- Nos fruits et légumes sont de moins en moins nutritifs | National Geographic
- Thomas D. A Study on the Mineral Depletion of the Foods Available to us as a Nation over the Period 1940 to 1991. Nutrition and Health. 2003;17(2):85-115. doi:10.1177/026010600301700201
- Davis, D. R. (2009). Declining Fruit and Vegetable Nutrient Composition: What Is the Evidence?. HortScience horts, 44(1), 15-19. Retrieved May 9, 2024, from https://doi.org/10.21273/HORTSCI.44.1.15
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a. Soil health and nutrient density: preliminary comparison of regenerative and conventional farming - PMC (nih.gov) - Myers, S., Zanobetti, A., Kloog, I. et al. Increasing CO2 threatens human nutrition. Nature 510, 139–142 (2014). https://doi.org/10.1038/nature13179
a. Increasing CO2 threatens human nutrition | Nature - Robin J. Marles, Mineral nutrient composition of vegetables, fruits and grains: The context of reports of apparent historical declines, Journal of Food Composition and Analysis, Volume 56, 2017, Pages 93-103, ISSN 0889-1575, https://doi.org/10.1016/j.jfca.2016.11.012.
a. Mineral nutrient composition of vegetables, fruits and grains: The context of reports of apparent historical declines - ScienceDirect - Bertin, N., Génard,M. Tomato quality as influenced by preharvest factors, Scientia Horticulturae, Volume 233, 2018, Pages 264-276, ISSN 0304-4238, https://doi.org/10.1016/j.scienta.2018.01.056.
a. Tomato quality as influenced by preharvest factors - ScienceDirect (Le cas de la tomate) - Les fruits et légumes ne sont pas moins nutritifs qu'il y a quelques décennies, dit un nutritonniste (radio-canada.ca)
- Linshan Li, Ronald B. Pegg, Ronald R. Eitenmiller, Ji-Yeon Chun, Adrian L. Kerrihard, Selected nutrient analyses of fresh, fresh-stored, and frozen fruits and vegetables, Journal of Food Composition and Analysis, Volume 59, 2017, Pages 8-17, ISSN 0889-1575, https://doi.org/10.1016/j.jfca.2017.02.002.
- Une pomme de 1950 n’équivaut pas à 100 pommes d’aujourd’hui (nutritionnisteurbain.ca)