- 31 Octobre 2022 - Espace pour la vie
Pouvez-vous nommer une femme scientifique ayant marqué l’histoire? OK, maintenant, tentez de nommer une autre femme que Marie Curie… Pas si facile hein? Ce n’est pas étonnant non plus. Historiquement, les femmes scientifiques ont souvent été reléguées aux oubliettes au profit de leurs collègues masculins. Cette année, à la Nuit des chercheuses et des chercheurs au Jardin botanique et au Musée de la Nature et des Sciences de Sherbrooke, les projecteurs seront braqués sur elles.
Un effet documenté
En 1982, l’historienne des sciences Margaret Rossiter publie Les femmes scientifiques en Amérique, un ouvrage résumant ses laborieux efforts pour mettre en lumière le parcours et les obstacles vécus par les femmes scientifiques aux États-Unis entre les années 1850 et 1940. Mais c’est au début des années 1990 qu’elle marque l’imaginaire à jamais en utilisant pour la première fois le terme “effet Matilda” pour décrire l’invisibilité récurrente de la contribution des femmes scientifiques à la recherche. Rossiter a baptisé ainsi le phénomène en l’honneur de la militante féministe du 19e siècle Matilda Joslyn Gage, une suffragette new-yorkaise dont les travaux soulignaient les mêmes constats 100 ans plus tôt. Par ses recherches, Rossiter a fait émerger nombre de femmes que l’Histoire n’a pas retenues et qui gagnent pourtant à être (re)connues.
Femmes botanistes remarquables en trois temps
Au 18e siècle, il était peu commun pour les femmes d’exercer un métier scientifique. Certaines sont même allées jusqu’à camoufler leur genre afin de poursuivre leur passion. C’est le cas de Jeanne Barret (1740-1807), la première femme à avoir fait le tour du monde. Cette botaniste autodidacte est montée clandestinement à bord du navire de l’explorateur français Louis-Antoine de Bougainville en revêtant des habits masculins: un stratagème élaboré avec son compagnon, le naturaliste Philibert Commerson. Alors que ce dernier est incommodé par un mal de mer constant, Jeanne le remplace lors des expéditions de récolte de plantes sur le terrain. Ainsi, elle parvient à rapporter quelque 5000 spécimens de plantes, dont la majorité des espèces sont découvertes pour la première fois. Sa véritable identité a cependant été démasquée pendant l’expédition. Mais ses preuves étant faites, elle obtient la reconnaissance de ses compagnons de voyage, et même du roi de l’époque, Louis XVI, qui la sacre “femme exceptionnelle”.
D’autres femmes ont plutôt été éclipsées par les hommes qu’elles ont côtoyés bien que leur contribution aux travaux de ces derniers était majeure. L’histoire même du Jardin botanique est entrelacée par l’une de ces femmes, Marcelle Gauvreau (1907-1968), grande complice du frère Marie-Victorin. Outre sa plume fleurie qui vous ravira si un jour vous avez l’occasion de lire ces écrits, Marcelle Gauvreau fut pionnière en publiant le tout premier ouvrage illustré détaillé sur l’identification des algues marines du Québec. En 1935, elle fonde l’École de l’Éveil et pose les premiers pavés de l’éducation préscolaire au Québec.
Les chercheuses contemporaines gagnent aussi à être connues. Connaissez-vous Anne Bruneau? La botaniste-chercheuse de l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV) est renommée pour avoir mis de l’ordre dans le classement phylogénétique des légumineuses - des plantes essentielles à l’humanité. Au milieu des années 1990, mue par le désir de moderniser les équipements de recherche de l’IRBV et portée par l’urgence d’offrir à la précieuse collection de l’Herbier Marie-Victorin des conditions favorables à sa conservation, Anne devient l’instigatrice du Centre sur la biodiversité. En 2011, ce centre ouvre ses portes au Jardin botanique, cristallisant le partenariat historique entre le Jardin botanique et l’IRBV - institutions toutes deux fondées par le frère Marie-Victorin. Sa contribution à l’avancement de la recherche en botanique dépasse ces quelques exemples : Anne est une chercheuse de l’ombre, qui gagne à être mise sous la lumière.
Histoire du passé?
Vous me direz peut-être que l’effet Matilda est de l’histoire ancienne? La sous-représentation des femmes en science et en technologie est pourtant encore d’actualité. Au Canada, cette sous-représentation oscille autour de 20%.
Comment peut-on encourager les femmes à poursuivre une carrière scientifique? La visibilité est la clé. Tout comme Margaret Rossiter l’a fait, il importe de braquer la lumière sur les femmes scientifiques, d’être curieux et curieuse envers leurs exploits et de s’informer à leur sujet. C’est ce que vous pourrez faire en venant rencontrer plus de cinquante d'entre elles à la Nuit des chercheuses et des chercheurs le 11 novembre prochain. À bientôt!
Pour en savoir plus
- Découvrez-en plus sur le parcours et les réalisations d’Anne Bruneau (Le Devoir)
- Écoutez 20% : un balado où des femmes en science et en techno se racontent (Québec Science)