Comment est-il possible d’avoir une idée de la forme qu’a notre Galaxie alors que nous sommes dedans? Voilà le genre de question qui donne le vertige et qui nous permet de nous évader en ces temps de confinement! Olivier Hernandez, directeur du Planétarium, explique les découvertes scientifiques qui ont permis de mieux connaître la Voie lactée.
Ce texte est une adaptation d’une chronique diffusée à l’émission Moteur de recherche, sur les ondes d’ICI Radio-Canada Première.
Qu’est-ce que la Voie lactée?
Les nuits de juillet et d’août sont parmi les meilleurs moments de l’année pour admirer notre Galaxie, la Voie lactée. Elle n’est pas facilement visible depuis les grandes villes à cause de la pollution lumineuse. Or, dès qu’on s’éloigne des grands centres urbains, on peut plus facilement la voir.
Depuis la Terre, notre galaxie ressemble à une bande « nuageuse » ou « laiteuse » dessinée sur le ciel, d’où son nom. On connaît cette Voie lactée depuis des millénaires, mais il aura fallu attendre les 100 dernières années pour percer ses mystères, ses dimensions et connaître sa forme grâce au grand débat sur la nature des nébuleuses spirales visibles.
On sait aujourd’hui que notre Galaxie est une galaxie spirale barrée. Il s’agit en fait d’un immense archipel d’étoiles (400 milliards environ), de gaz et de poussières. Comme partout dans l’Univers le gaz est composé à 75 % d’hydrogène et 24 % d’hélium. Prenant la forme d’un disque, elle contient un bulbe au centre, une barre d'étoiles, un halo d’étoiles vieilles et un halo de matière sombre.
Quelles sont les dimensions de notre Galaxie?
La Voie lactée mesure 100 000 années-lumière (al) de diamètre et 1 000 al en épaisseur au plus épais. Pour vous donner une idée de ce que représentent ces chiffres colossaux, une al, c’est 9 500 milliards de kilomètres. Donc 1 000 al = 9,5 millions de milliards de kilomètres!
Comment a-t-on été capable de découvrir la forme de la Voie lactée?
Imaginez qu’on veuille envoyer une sonde pour « voir » notre Voie lactée au plus près de son épaisseur. À la vitesse d’Apollo 11 (~42 000 km/h), ça prendrait 24 millions d’années. À la vitesse de la sonde la plus rapide de l’histoire, Solar Parker (qui atteindra la vitesse de ~690 000 km/h en 2024), « seulement » 1,5 million d’années. Ainsi, l’exploration par des sondes spatiales ne sera jamais une solution. On revient donc à la lumière!
Jan Hendrik Oort, un astronome néerlandais, découvre dès 1926 le halo galactique : un groupe d'étoiles en orbite autour de notre galaxie. Tout cela grâce à la spectroscopie (études des couleurs), la photométrie (études des luminosités et des céphéides, par exemple) et l’étude des parallaxes. Il arrive même à prouver que notre Galaxie possède une rotation différentielle, c’est-à-dire qu’elle n’est pas un solide! À la même époque, le suédois Bertil Lindblad arrive à prendre les premières mesures de la rotation de la Galaxie.
C’est quoi ça, une parallaxe?
Une parallaxe est l’outil le plus utilisé et le plus utile pour mesurer des distances proches. C’est en fait un angle : l’angle sous lequel on voit une étoile lors du changement de position de son observateur.
Pour mieux comprendre comment fonctionne cet outil, fermez l’œil gauche en supposant que vous regardiez un arbre au loin avec l’œil droit. Alignez votre pouce tendu entre votre œil droit et l’arbre. Vous avez un alignement parfait œil droit-pouce-arbre quand vous verrez votre pouce sur l’image de l'arbre. Sans bouger votre pouce, fermez votre œil droit et ouvrez le gauche. Que se passe-t-il? L’alignement n’est plus le même! Il vous faut soit tourner la tête ou bouger votre pouce d’un certain angle pour retrouver l’alignement. Cet angle c’est la parallaxe qui permet ensuite de calculer la distance par simple géométrie.
On fait la même chose avec les étoiles. Nos yeux sont en fait un télescope sur Terre ou dans l’espace et la Terre occupe deux positions opposées de son orbite autour du Soleil.
Cette méthode vieille de plus d’un millénaire (Hipparque il y a 2 000 ans) a permis de déduire les positions, mais aussi les vitesses de quelques dizaines de milliers d’étoiles pour cartographier leur position par rapport au Soleil. Ensuite, rien de plus simple qu’un peu de géométrie pour projeter toutes ces étoiles dans un système d’axe centré, non plus sur la Terre, mais sur le centre de notre Galaxie. C’est le moment où les astronomes se transforment en mathématicien.ne.s!
On appelle cela l’astrométrie. Ainsi, le satellite spatial Hipparcos (HIgh Precision PARallax COllecting Satellite) lancé en 1989 et avec huit ans de services a produit trois catalogues de données d’astrométrie et de photométrie de presque un million d’étoiles. Notre Voie lactée a pris forme sous nos yeux!
Pour déterminer la forme de la Voie lactée, a-t-on juste besoin des positions des étoiles?
Non : les vitesses des étoiles sont aussi importantes. Pour cela, on utilise l’effet Doppler à l’aide d’un spectromètre qui va mesurer les décalages vers le rouge ou le bleu des raies d’émission ou d’absorption de l’hydrogène des étoiles ou du gaz. Le décalage est bleu quand elles s’approchent et il est rouge quand elles s’éloignent. Avec toutes ces données de positions et de vitesse, on a donc une carte complète de notre Galaxie pour toutes les étoiles mesurées!
Bref, tout est une histoire de nombre de mesures et plus vous en avez, plus la précision et l’image de notre Voie lactée sont bonnes. D’ailleurs, les mesures de vitesses nous permettent aussi de connaître la masse de la Voie lactée.
Mais le summum en matière d’astrométrie et de mesure de vitesse, c’est le satellite Gaia (Global Astrometric Interferometer for Astrophysics). Lancé en 2013, Gaia doit identifier et mesurer presque 0,5 % des étoiles de la Galaxie, soit 1,7 milliard. Cela représente 100 téraoctets de données! Avec ça, on connaît probablement mieux notre Voie lactée que certains fonds de nos océans.
Gaia a permis de mettre en évidence plusieurs sous-ensembles de notre Galaxie : les bras spiraux, le disque épais et le disque mince, le bulbe, la barre d’étoile, et – c’est le mot que je préfère – le gauchissement du plan de notre Galaxie!
Pour conclure, l’astrométrie est un outil puissant comme des jumelles mathématiques qui permettent aux astronomes de garder leur chapeau millénaire d’explorateurs spatiaux et de représenter la Voie lactée. Et ce, même si l’on est dedans et qu’il nous est impossible d’en prendre une photo depuis l’extérieur.