Les gardiens de la forêt coniférienne
Cris, Algonquins, Atikameks, Innus et Naskapis habitent depuis des temps immémoriaux la vaste forêt coniférienne, où prédominent l'épinette noire, le sapin et le bouleau, et qui s'étend des confins de la zone nordique jusqu'à la forêt feuillue plus au sud.
Nomades par excellence, ces peuples font tous partie de la famille linguistique algonquienne. Ils partagent de nombreux traits culturels et langagiers, bien que restant uniques dans la diversité.
Ils avaient coutume de parcourir durant l'hiver d'immenses territoires de chasse familiaux à la recherche de gibier et de poissons, et de se rassembler, l'été venu, près d'une étendue d'eau, lieu de retrouvailles communautaires, de troc, d'échanges et de festivités. Encore aujourd'hui, le vaste réseau de lacs et de rivières de la forêt coniférienne constitue la porte d'entrée par où on pénètre ce pays pour y chasser le caribou, l'orignal et l'oie, y pêcher l'omble et le corégone, y ramasser le thé du Labrador, les airelles et les chicoutés.
Encore aujourd’hui, le vaste réseau de lacs et de rivières de la forêt de conifères forme une véritable porte d’entrée sur le territoire. Par les eaux, on accède aux lieux de chasse du caribou, de l’original et de l’oie. C’est aussi l’endroit où se pratique la pêche de l’omble et du corégone, ainsi que la cueillette du thé du Labrador, des airelles et des chicoutés.
Le bouleau
Uskui en cri, ushkuai en innu, wikwasatikw en attikamek, uskuy en naskapi et wîgwâs en algonquin, les noms du bouleau sont convergents et l'usage de son écorce est répandu et diversifié. Dans les mêmes sociétés, la parenté entre les animaux et les arbres est tellement profonde qu'on peut aussi parler de « la peau de l'arbre », surtout pour le bouleau. La peau des animaux sert d'abri, de contenant, de traîne; l'écorce de bouleau aussi. Les fourrures ont fait pendant des siècles l'objet d'échanges; l'écorce de bouleau tant prisée pour les canots et les habitations aussi.
Le temps des retrouvailles
L'été est aux retrouvailles, aux échanges et à la fête chez plusieurs Premières Nations, hier comme aujourd'hui. L'été venu, certains groupes algonquiens avaient coutume de s'établir en communauté près d'une étendue d'eau : moment propice aux échanges d'information, au troc, aux mariages, à la planification.
Les ressources aquatiques et le gibier ailé assurent la survie, la cueillette des petits fruits bat son plein. La construction des canots, en écorce de bouleau ou en toile, est l'objet d'une intense activité. L'habitation ordinaire est alors une tente de forme conique : miichiwaahp en cri et en naskapi, innu-mitshuap en innu, pikokan en atikamekw et wigiwam en algonquin. Elle est faite de perches de bois, revêtues anciennement de peaux de caribou ou d'écorce de bouleau, maintenant de toile usinée. Son tapis odoriférant est en branches de sapin ou d'épinette, constamment renouvelées.
Aujourd'hui encore, les familles, lescommunautés et les nations se rassemblent pour renforcer leurs relations sur le territoire et célébrer. Temps de cueillette et de pêche, l'été est aussi un moment de retrouvailles. Les Jeux autochtones interbandes du Québec, le Festival Innu Nikamu de Maliotenam sur la Côte-Nord, la Route des Pow Wow à travers le Québec, la Journée nationale des peuples autochtones et le festival Présence autochtone de Montréal sont quelques-unes des festivités estivales rassembleuses.
L'airelle vigne d'Ida
Sur la Côte-Nord, les Innus « vont aux graines » en famille, en octobre, pour cueillir sur les hauteurs des uishatshimina les « fruits amers » (les baies rouges de l'airelles vigne-d'Ida). Ils y passent toute la journée : une tente vite montée, un foyer pour le thé, des branches pour s'asseoir. Un séjour semblable a lieu en Abitibi, en août, où les Algonquins de Lac-Rapide installent de véritables campements de cueillette de bleuets, min ou minadjiciwatik.
Produits de la terre, les fruits de la forêt coniférienne sont cueillis à l'année. Iiniminaan en cri, « le vrai fruit » (le bleuet ou airelle à feuilles étroites), est mûr dès l'été. Shikuteu en innu, la chicouté, est cueillie en août. Mokominatik en algonquin, « l'arbre aux fruits de l'ours » (le sorbier), donne à l'automne un fruit mangé pour apaiser la faim. Mickekominan en attikamek, « le fruit des tourbières » (la canneberge commune), est même comestible au printemps, car ses fruits, ramollis et ridés par l'hiver, ont conservé leur goût agréable et acidulé.
À chaque plante sa saison
Les plantes ont leurs saisons qu'il incombe de connaître et de respecter pour en saisir toutes les vertus. Pineuminanakashi, « la plante à fruits de la perdrix », le petit thé en innu, procure du thé au printemps, des fruits en été et de la nourriture pour les perdrix en hiver. Câcâgômânâbak, le quatre-temps en algonquin, fournit du thé au printemps et des fruits à l'été. Kanisopakak, la savoyane en algonquin, sert à préparer une tisane et tant les feuilles que les racines sont consommées. Une croyance répandue veut que tous les aliments traditionnels soient aussi des médicaments; cela vaut pour toutes les boissons à base de plantes, qui sont bues à titre préventif, en thé ou en décoction.
Habitats et abris
Une légende innue et crie veut qu'autrefois régnait un hiver éternel, et que l'alternance des saisons ne fut rétablie qu'à la suite d'une longue quête pour libérer les oiseaux d'été, signes de chaleur et de végétation. Les héros de ce récit sont des animaux, entre autres Castor, Loutre, Rat musqué, Vison et Cervidé, les mêmes, de l'automne à l'hiver, que les Autochtones rencontrent encore aujourd'hui. Cette quête évoque aussi les déplacements continus des Autochtones, ponctués ça et là de campements semi-permaments ou temporaires, comme chez les Cris et les Innus, aux installations des plus recherchées : tente conique en écorce ou en sphaigne, tente en écorce en forme de dôme, habitation longue en peaux de caribou, ou, plus récemment, cabanes en bois rond aux formes variées.
Autre installation remarquable, la tente à suer, encore en usage de nos jours, est également faite de perches recourbées. On l'appelle Mitutissan en cri, matotosowin en atikamekw, matutishan en innu, mitisaan en naskapi.
Des conifères aux multiples usages
Épinette et sapin baumier sont devenus tout autant des arbres de première nécessité. Leur bois sert pour les canots, les raquettes et les toboggans. Leurs branches couvrent le lit des habitations traditionnelles, leurs racines sont employées pour coudre paniers et canots. Les cônes de l'épinette noire servent à teindre les filets, la résine du sapin à imperméabiliser les canots. La gomme de l'épinette est mâchée, celle du sapin est un remède contre la toux. Les aînés cris distinguent l'épinette blanche de la noire par ses ramilles qui, broyées, sentent la mouffette.
Lacs et rivières
Dans le courant de l'onde, les ressources foisonnent, ombles, corégones, esturgeons et saumons, gibier d'eau et mammifères marins. Sur le vaste territoire, enfilant lacs et rivières, des nations ont aménagé au fil des siècles mille et une trouées. La pêche d'été, à la ligne, à la lance ou au filet, exige souvent un canot, un hors-bord ou une autre embarcation. Les filets, autrefois en lanières de cuir, en écorce de saule ou en apocyn chanvrin, sont maintenant usinés. En hiver, la pêche se pratique sur la glace, à la ligne à main ou à la ligne dormante montée sur un petit conifère ébranché. Chez les Cris et les Naskapis, le poisson a donné lieu à un véritable mets national, le shikumin, un mélange heureux de chair en flocons et de petites baies.
D'autres activités se déroulent en milieu marin. Si ce n'est la chasse aux oies menée par les Cris de la Baie-James, au printemps comme à l'automne, c'est aussi celle des mammifères marins par les Inuit des baies d'Hudson et d'Ungava qui se déroule à l'année. Les Innus de la Côte-Nord et les Mi'gmaq de la Gaspésie ne sont pas en reste, chassant aussi les mammifères et pêchant les poissons marins.
Mousses et lichens
Les sphaignes, les lichens terrestres et le bois décomposé étonnent par leur classement, leurs usages et leur diversité. Pour les Autochtones, ils appartiennent au grand domaine géo-végétal de la terre (aski en atikamekw, assi en innu, aschii en cri, aki en algonquin, aschiiy en naskapi). L'absence de racines constitue leur trait le plus saillant. Des sphaignes encore, on dit que c'est la « terre qui pousse », en invoquant comme preuve les anciens chemins de portage disparus sous la terre « qui a poussé dessus » ou le lit des tourbières qui varie année après année.
Les sphaignes au Québec sont variées – des rouges, des vertes, des jaunes, des courtes et des longues – et leur utilisation est fort diversifiée. Leurs propriétés absorbantes en font, pour les Innus et les Anishinabeg, d'excellentes couches d'enfants, du papier hygiénique et des essuie-tout. Leurs propriétés isolantes sont exploitées notamment par les Cris, qui en calfeutrent leurs cabanes en bois rond. Chez les Atikamekw et les Innus, les sphaignes sont appliquées en compresse pour soigner certaines maladies.
Les lichens à caribou étaient consommés autrefois par les Cris et les Innus en période de famine.
Le mélèze
Uatshinakan en innu, waachinaakan ou waachinaakin en cri, uakinagan en algonquin, waachinaakin en naskapi, le mélèze (Larix), seul conifère à s'effeuiller durant l'hiver, porte bien son nom. De uatshin, « courbe faite à la main », l'arbre aux cent courbures est plus d'une fois mis à contribution.
La force du bois de mélèze ou de son écorce convient bien aux courbures des patins des traîneaux innus et algonquins. Sa flexibilité le rend privilégié chez les Innus pour le cadre des raquettes et, surtout, pour les cerceaux des tambours traditionnels. De ses branches courbées, les Cris confectionnent des appellants pour leurrer les outardes. Une partie de sa souche, évidée en rond, permettait aussi aux Innus de repérer le caribou.
La camarine noire
« La plante à fruits de terre » (aschiiminaahtikw en cri et en naskapi, assiminanakashi en innu), ou camarine noire, est prisée par le cervidé pour ses pousses printanières. Elle procure aussi des baies comestibles. D'autres sont pour l'animal une nourriture d'hiver. Atikuminanakashi, « la plante à fruits du caribou » en innu, ou raisin d'ours, en est une. Ses baies sont aussi consommées par les Anishinabeg, dont les ancêtres chassaient certainement le caribou autrefois tant il était répandu. Kaachepukw ou kaachaapukw en cri, le thé du Labrador, en est une autre. Ses feuilles sont devenues également le thé par excellence des Attikameks et d'autres nations.
L'élyme des sables ivigaat et la linaigrette suputik deviennent pour les Inuits de véritables marques du cervidé. Écrasée sous le passage des caribous, l'élyme des sables indique par où le troupeau est passé. De la linaigrette, on dit encore que lorsque ses graines partent au vent, la fourrure du caribou est à son meilleur pour confectionner les vêtements.
Le thé du Labrador
Regroupés en petits arbustes où seulement quelques feuilles poussent aux extrémités des tiges, le thé du Labrador (rhododendron groenlandicum) pousse près des tourbières et de la toundra du Nunavik. Lors de la floraison, le thé du Labrador offre une ombelle de fleurs blanches et délicates.
Appelé mamaittuqutik en inuktitut (de mamaittuk, « qui a mauvais goût »), on le trouve également dans la forêt boréale chez les Cris Eeyou de la Baie James qui le nomment kachichepukw et chez les Naskapis, qui l’appellent iihkuta. On le trouve également plus au sud où les Abénakis lui donnent le nom azonakwiz (qui veut dire « petit plante de marécage »). Les Wolastoqiyik (Malécites) des Maritimes le nomment quant à eux pusipga/skil.
Utilisé par plusieurs nations autochtones à travers le Québec et le Canada, le thé du Labrador a de multiples usages et vertus. Que ce soit en infusion, décoction ou cataplasme, c’est une plante médicinale incontournable dans la pharmacopée autochtone.