Le gui, ça vous dit quelque chose? Peut-être pensez-vous déjà aux amoureux qui s'embrassent sous le gui au temps des fêtes? Cette plante très particulière est tellement méconnue que plusieurs confondent le houx et le gui. C'est bien normal, si l'on considère que le gui ne pousse pas chez nous et qu'il ne fait pas ou peu partie des traditions québécoises. Pourtant, plante porte-bonheur pour les uns, porte-malheur pour les autres, ce sont ses qualités intrinsèques qui lui ont valu tant d'attention depuis les temps anciens jusqu'à nos jours.
Aspect
Décrire la plante nous met déjà sur la piste de bien des croyances, légendes et coutumes. Le gui est une plante hémiparasite, c'est-à-dire qu'il ne parasite pas son hôte dans tous ses besoins vitaux. Certes, il utilise ses ressources en lui soutirant eau et minéraux, mais il possède de la chlorophylle et peut fabriquer ses propres sucres : de là, l'hémiparasitisme.
Il croît sur les branches de pommiers et de peupliers en particulier, mais aussi sur les aubépines, les poiriers, les sapins, plus rarement sur les chênes et jamais, semble-t-il, sur les ormes et les frênes. Après plusieurs années de développement, il a l'apparence d'une grosse boule vert jaunâtre de 60 à 90 cm de diamètre facilement repérable, surtout après la chute des feuilles car, autre caractéristique, il est sempervirent. Singularité supplémentaire, il croît dans toutes les directions, sans chercher à redresser ses extrémités vers la lumière.
Légendes, croyances et rites anciens
Comment pouvait-on ne pas être mystifié par une plante si singulière, si énigmatique? Plante aérienne… Plante des esprits. Pour les Celtes et les Gaulois, la plante était magique et surtout sacrée; seul l'était, cependant, le gui parasitant le chêne. Lors d'une cérémonie religieuse tenue six lunes après le solstice d'hiver, un druide vêtu de blanc grimpait à la cime d'un chêne et récoltait à l'aide d'une serpe en or touffes et rameaux. Ceux-ci devaient être recueillis dans un drap blanc avant qu'ils ne touchent le sol pour conserver leur pouvoir magique.
Le rite était consacré par le sacrifice de deux bœufs blancs. Le grand prêtre distribuait alors les rameaux aux participants en criant : « Au gui l'an neuf », la nouvelle année débutait. On suspendait le gui dans les maisons ou on le portait sur soi. C'était une panacée : le gui chassait les mauvais esprits, purifiait l'âme, guérissait le corps, neutralisait les poisons, assurait la fécondité des troupeaux, permettait de voir les fantômes et de les faire parler! Tout comme pour le houx, conserver cette plante dans la maison en hiver était une invitation aux bons esprits de la forêt à venir y trouver refuge. De là, peut-être, la coutume de suspendre le gui dans les maisons au temps des fêtes.
À une autre époque, les moines nommaient le gui « bois de la Sainte-Croix ». Il aurait été réduit d'arbre en buisson parasitique à la suite de l'utilisation de son bois pour la construction de la croix du Christ! Voilà encore une manière élégante d'expliquer l'inexplicable. Une légende serbe racontait qu'un trésor était caché au pied de l'arbre portant du gui. En France et en Angleterre, il fallait couvrir la table de rameaux de gui pour s'assurer d'une moisson abondante et de troupeaux féconds. Des pouvoirs magiques étaient reconnus au gui chez les Grecs également, où il était associé à Hermès, grand messager de l'Olympe mais aussi dieu de la santé. Une légende scandinave (dont on trouve différentes versions) veut que le dieu soleil Baldut, supposé invulnérable, ait été tué par une flèche fabriquée avec une tige de gui par le démon Loki. La mère du dieu soleil, Preyla, implorant aux autres dieux son retour à la vie, promit d'embrasser quiconque passerait sous le gui. Celui-ci devint le symbole de l'amour et du pardon. De là vient peut-ètre la coutume de s'embrasser sous le gui.
Botanique
Le gui sujet de toutes ces croyances est le Viscum album, le gui blanc d'Europe et d'Asie (plus rarement présent en Afrique du nord). Des Viscum, il y en a quelque 70 espèces réparties dans les régions tempérées. Il est un des sept genres des Viscacées, famille de plantes parasites mais chlorophylliennes. Dans le sud-est des États-Unis croît aussi un gui à fruits blancs, qui ressemble beaucoup au gui blanc d'Eurasie : c'est le Phoradendron leucarpum (syn. Phoradendron serotinum), un autre genre des Viscacées. On dit que leur ressemblance a favorisé le passage du folklore européen au folklore américain. Il y a aussi des guis à fruits rouges, des guis à fruits jaunes, des guis en régions tropicales, des guis en Australie, etc.
Le gui est une plante dioïque : on retrouvera donc des touffes à fleurs femelles et d'autres à fleurs mâles. La floraison a lieu en mars et avril. Les fruits mûrissent en août et septembre de l'année suivante et ne tombent qu'au début de la troisième année. Les touffes femelles se couvrent donc de fruits globuleux, blancs, charnus et visqueux (de là le mot Viscum utilisé par Virgil et Pline).
Dans la langue anglaise, on le nomme mistletoe. Ce nom est dérivé des mots anglo-saxons mistel et tan. Tan se traduit par branche, mais mistel semble recevoir au moins deux interprétations. Pour les uns, il signifierait « différent », ce qui donnerait différentes branches, allusion à la promiscuité entre l'hôte et son parasite. Pour d'autres, mistel voudrait dire « fiente », donc « fiente sur une brance » : les anciens auraient remarqué que le gui poussait sur les branches où les oiseaux avaient laissé leurs fientes et auraient cru à une croissance spontanée!
Croissance
Sa dispersion est, en effet, principalement liée aux oiseaux. Les grives (justement nommées Turdus viscivorus par Linné) raffolent des fruits du gui. Les graines non consommées collent à leur bec avec des restes de la pulpe visqueuse. L'oiseau frottera son bec sur la branche et, mine de rien, il réalisera un semis. Paradoxalement, les fruits cuits donnent une colle fine et très adhésive qui sert de glu (birdlime, en anglais) pour attraper des petits oiseaux chanteurs! La propagation du gui peut aussi se faire par la fiente des grives ayant ingurgité les graines avec les fruits. On dit que certaines mésanges interfèrent avec le cycle de cette propagation : elles sont friandes des graines.
Une fois collée sur une branche, la graine germe et développe un cône de fixation pourvu en son centre d'une racine suçoir qui s'enfonce dans le cortex de l'arbre-hôte, à la recherche des tissus conducteurs de sève. L'extension du suçoir peut se faire sous l'écorce, ce qui permettra l'apparition de plusieurs touffes de gui à partir d'une seule graine. Cette extension provoque évidemment une désorganisation anatomique qui hypertrophie la branche et la fragilise.
Le gui est considéré comme un fléau par les forestiers; il provoque l'affaiblissement de l'arbre-hôte, ralentit sa croissance et diminue la qualité du bois. Avec l'effet combiné de mauvaises conditions climatiques, l'arbre très parasité peut en périr. Depuis le 19e siècle, avec l'introduction en Europe d'arbres en provenance d'Amérique par exemple, on s'est aperçu que le gui s'était adapté à de nouveaux hôtes : l'érable argenté, le noyer noir, le robinier, le peuplier baumier, et d'autres encore. En Amérique du Nord, le gui fait des ravages particulièrement chez les conifères. Présentement, aucun produit chimique n'existe pour contrôler le gui sans nuire à la plante hôte. Les branches parasitées doivent être taillées : médecine radicale.
Propriétés médicinales
Au 17e siècle, les herboristes prescrivent le gui contre l'épilepsie et les désordres nerveux, et le recommandent pour régulariser les activités glandulaires, le rythme cardiaque et la digestion. On connaît maintenant mieux les effets de la viscine, substance extraite du gui. À forte dose, elle peut ralentir dangereusement le rythme cardiaque, causer des convulsions, accroître la pression artérielle, provoquer un avortement. À faible dose, des effets bénéfiques sont notés sur les personnes souffrant d'hypertension et de maladies cardiaques; il semble donc que la dose ingérée soit critique. De plus, la toxicité du gui serait variable selon l'hôte et son métabolisme au moment de la récolte.
Aujourd'hui, on parle encore du gui : des études menées dans des laboratoires suisses cherchent à démontrer que ses composants activeraient le système immunitaire et inhiberaient les tumeurs cancéreuses.
Texte adapté d'un article d'Édith Morin, Quatre-Temps, vol. 20, no.4.