Menu global

Les balados nobELLES - Transcription - Épisode 6 - Emmy Noether

Français
Balados nobELLES

 Épisode 6 - Emmy Noether

Accéder au balado   

nobELLES raconte l’histoire des femmes qui ont changé le monde avec leur découverte, mais que leurs contemporains ont préféré royalement ignorer. Ici, on remet les pendules à l’heure, on oublie les gants blancs, on met les points sur les i et on en tire des leçons à appliquer aujourd’hui!

hr - nobELLES

Son travail chevauchant la physique et les mathématiques a changé l’histoire. Einstein sera un des premiers à le reconnaître. Juive en Allemagne, Emmy Noether enseignera les mathématiques à tous ceux qui voudront apprendre, y compris aux nazis. Voici l’histoire d’une femme exceptionnelle et sans ego, qui n’a jamais compris pourquoi il y avait des barrières : elle était trop occupée à comprendre d’autres affaires…

« Plus on a un a un gros ego, plus on se sent facilement menacé par du feed-back qui irait pas la direction de l’histoire qu’on se raconte sur soi. Puis on se débat d’une façon de survie identitaire. non non non! tu peux pas me dire ça parce que moi ce que je sais de moi, ce que je me raconte sur moi-même puis là c’est ça, puis là on devient hyper rigide. »

Emmy Noether naît en 1882 dans une famille juive, en Allemagne.

Sa mère vient d’une famille riche de Cologne, et son père est professeur de mathématiques à l’Université d’Erlangen. Ses deux frères Alfred et Fritz suivent un cursus scientifique à l’université.

Emmy, elle, suit la formation prescrite pour les femmes éduquées, pour devenir enseignante de langues. Mais une fois qu’elle a obtenu son diplôme, elle décide de suivre sa vraie passion, qui n'est pas les langues, et de faire des études supérieures comme ses frères, en mathématiques.

Le problème? Ce n’est pas vraiment permis, et ce n’est pas vraiment bien vu…

Le médecin Paul Möbius le proclame même publiquement cette année-là :

« une femme mathématicienne est contraire à la nature, dans un certain sens, un hermaphrodite. Les femmes érudites et artistes sont une dégénérescence. Ce n’est que par des mutations pathologiques que la femme peut acquérir des talents autres que ceux de maîtresse ou de mère. »

Officiellement, les femmes n’ont pas l’autorisation d’étudier à l’université… à moins d’obtenir la permission des professeurs dont elles veulent suivre les cours. Un à un, Emmy doit contacter et convaincre les enseignants pour qu’ils lui permettent d’entrer dans leur classe.

Elle a un avantage non négligeable, contrairement à d’autres : son père travaille à l’université, et il l’aide à obtenir les autorisations.

Ses résultats scolaires sont spectaculaires. Les rares jeunes hommes qui ont des résultats similaires aux siens sont propulsés dans des carrières académiques prestigieuses. Pas elle. Il n’y a pas de place, pas d’avenir académique pour une femme.

Mais elle ne veut pas s’arrêter là pour autant. Elle s’inscrit à l’université de Gottingen pour continuer de suivre des cours.

Là-bas, elle a deux illustres professeurs de mathématiques : Felix Klein et David Hilbert. Pour l’instant, ces noms ne sont pas importants, mais ils vont revenir…

En 1904, le gouvernement allemand autorise officiellement les femmes aux études supérieures, et Emmy peut obtenir son doctorat, ce qu’elle fait.

Sa thèse est bien accueillie, mais Noether va plus tard la qualifier de « merde ».

Donc elle a son doctorat, et on trouve que sa thèse est brillante… mais… tout le monde s’attend à ce qu’Emmy s’arrête là. Les femmes ont le droit d’assister à des cours, OK, mais il n’est pas question qu’elles se mettent à en donner.

En même temps, son père, qui a la polio, a de plus en plus de difficulté à enseigner à cause de sa maladie. Il a besoin d’être de plus en plus remplacé dans ses cours. Et il se tourne vers Emmy, qui, bien sûr, accepte. Même si elle n’est pas payée, même si elle n’a pas le titre de professeure, elle prend la place de son père dans l’amphithéâtre quand il est trop malade. Cette suppléance lui permet de continuer à faire des recherches auprès d’autres mathématiciens et de collaborer avec les étudiants de son père.

Et elle se fait remarquer. Son travail attire l’attention d’autres mathématiciens, si bien qu’elle est invitée à donner des conférences.

Emmy est contente. Elle peut faire ce qu’elle aime et sa famille lui donne une petite allocation, comme elle n’a pas de salaire.

Elle vit modestement, pas très loin d’où elle est née. En 1915, toutefois, les choses vont changer pour elle, à cause d’un autre scientifique. Albert Einstein publie sa théorie de la relativité.

« Ce que nous percevons comme la force de gravité provient de la courbure du temps et de l’espace. »

Voilà. C’est dit.

Le monde de la science est stupéfait. C’est la théorie la plus importante en math depuis la loi de la gravité de Newton.

Tous les mathématiciens du monde sont fascinés, y compris les anciens illustres professeurs d’Emmy, Klein et Hilbert, qui sont déterminés à comprendre toutes les ramifications de la théorie d’Einstein. Mais ils se sentent rapidement bloqués, et ils décident qu’ils ont besoin de quelqu’un avec un regard frais, un regard neuf pour les aider. Ils contactent Emmy pour qu’elle revienne travailler avec eux à Gottingen.

Pleine d’entrain, elle s’y rend avec ses valises. À son arrivée, le comité d’accueil est mitigé. Hilbert veut qu’elle ait le titre de professeure associée, mais les hommes de la faculté de philosophie sont outrés : selon eux, les femmes ne doivent pas enseigner.

« Que penseront nos soldats, quand ils reviendront à l’université et verront qu’ils doivent apprendre aux pieds d’une femme? »

En effet… Qu’est-ce qu’ils vont en penser, les soldats? On les a envoyés dans les tranchées se faire bombarder, mais faudrait quand même pas les envoyer dans la classe… d’une femme!

Hilbert s’obstine. 

« Je ne vois pas pourquoi le sexe de la candidate serait un argument contre son admission comme privatdozent. Nous sommes une université, pas des bains publics. »

Pour contourner les profs de philo, Hilbert met à l’horaire des classes à son nom à lui, puis, il « oublie » de se rendre à ses cours, et c’est Emmy qui présente la matière, même si dans le synopsis de cours, il est écrit noir sur blanc qu’elle est une assistante et qu’elle n’a pas de salaire.

Emmy n’est pas une professeure ordinaire, sous aucun plan. Du côté des étudiants, soit on l’adore, soit on la déteste. Ses manières en font fuir plusieurs : elle ne suit pas de plan de cours, elle construit ses leçons comme des discussions spontanées avec ses étudiants, dans le but de résoudre des problèmes réels de mathématique contemporaine.

Comme prof, elle est brusque, elle est sévère, mais elle est aussi extrêmement brillante et loyale. Elle fait tout pour aider ses étudiants dans le développement de leurs travaux, les laissant même publier en leur nom des théories qu’elle a développées devant eux.

Elle ne se soucie pas des apparences, et la sienne fait parfois peur aux étudiants plus prudes : elle sort des mouchoirs de son chemisier, elle échappe toujours tout, renverse du thé sur sa robe, elle gesticule avec passion en parlant, et sa coiffure se défait pendant qu’elle donne ses leçons animées.

On ne lui connaît pas non plus de vie amoureuse. Tout ce qui lui importe, tout ce qui attire son attention, ce sont les maths.

Elle ne fait pas que donner des cours de manière bénévole, elle relève aussi le défi pour lequel Hilbert lui a demandé de venir : elle résout en quelques minutes seulement le problème dans la théorie d’Einstein à propos de la conservation de l’énergie.

Et même après avoir soumis cette équation, elle ne s’arrête pas là. Elle fait aussi LA découverte qui va révéler son génie mathématique : elle développe le théorème qui va porter son nom : le théorème de Noether. En gros, elle montre que quand on a de la symétrie dans la nature, de la prédictibilité ou de l’homogénéité, il y a toujours une conservation d’énergie. Ce théorème sera hautement utile aux scientifiques des décennies suivantes dans la découverte de nouvelles particules, comme celle du célèbre boson de Higgs, trouvé en 2012.

EXTRAIT sur le boson de Higgs.

Quand Einstein entend parler du théorème de Noether, il écrit à Hilbert. Il lui dit ce qu’il pense en des termes non équivoques.

« Cette femme est un génie! »

La contribution d’Emmy à l’algèbre abstrait est si importante que des mathématiciens jugent que c’est elle qui a inventé la discipline.  

Mais même si son génie est reconnu par d’autres génies, ça ne change rien à sa situation, l’université continue de ne pas la payer. Emmy peine à subvenir à ses besoins, et elle sombre dans la pauvreté.

Ce n’est qu’après plusieurs années, que l’université va lui octroyer, en 1922, un très petit salaire à titre de « professeure sans titre ». Sans titre, et sans pension de retraite. À ce moment-là, elle est déjà l’un des membres du corps professoral les plus populaires. Elle a même un groupe d’étudiants, tous masculins, qui suivent avec avidité ses cours. On les appelle « les gars de Noether ». Ceux-ci se réjouissent d’ailleurs quand d’autres étudiants sont repoussés par le style de leur prof préférée. « L’ennemi a battu en retraite! », écrit l’un d’eux dans son cahier quand un élève quitte le cours pendant la pause pour ne jamais revenir. 

Emmy reçoit de la reconnaissance internationale, aussi. Elle est par exemple invitée à donner une conférence au Congrès international de mathématiques. Elle est aussi professeure invitée à l’université de Moscou, en Russie. Elle reçoit un prix en Suisse.

Dans les années 30, les nazis arrivent au pouvoir.

Un jour, des étudiants arrivent à ses cours en portant l’uniforme brun nazi, tout en sachant que leur professeure est juive. Emmy n’est aucunement intimidée. Elle rit d’eux en les voyant. Pour elle, le contexte politique ne change rien.

Mais quand Hitler devient chancelier, les membres de la faculté qui n’ont jamais désiré sa présence renvoient Emmy en évoquant le fait qu’elle est juive. 

Arrête-t-elle d’enseigner? Certainement pas. Elle accepte tout le monde — y compris les étudiants nazis…

Emmy n’est simplement pas quelqu’un de craintif. D’ailleurs, elle parle souvent de son admiration pour les Soviétiques avec qui elle a travaillé à Moscou et ça lui attire des problèmes. Elle se fait mettre à la porte de la pension dans laquelle elle vit après que des étudiants se soient plaints de vivre sous le même toit qu’« une Juive aux penchants marxistes ».

Pendant ce temps, Einstein, qui a émigré aux États-Unis pendant la montée des nazis, lui trouve un poste à l’université Bryn Marw, en Pennsylvanie, mais elle refuse.

Quand la pression sur les intellectuels juifs augmente encore d’un cran, plaçant toute production intellectuelle juive sous le giron de Goebbels, elle accepte finalement d’aller à l’université de Bryn Marw.

Au début de la cinquantaine, elle devient aussi professeure à Princeton. Dans les deux universités américaines, comme en Allemagne, des groupes d’étudiants se massent autour d’elle et profitent de son génie. Elle est tout aussi passionnée qu’à ses débuts et toujours aussi ébouriffée.

Malheureusement, la maladie l’arrête dans sa lancée en sol américain. Son médecin découvre qu’elle a un kyste ovarien, et, quand elle est opérée pour se le faire enlever, les chirurgiens trouvent d’autres tumeurs à des stades avancés dans son ventre. Elle est condamnée.

Elle meurt peu de temps après, à l’âge de 53 ans.

Einstein publie une lettre ouverte dans le New York Times à propos de Fraulein Noether et de son œuvre. Il écrit :

« Les efforts de la plupart des humains sont consommés par la lutte pour leur pain quotidien […] et l’accumulation de biens matériels […]. Mais il y a, heureusement, une minorité qui reconnaît que les expériences les plus belles au sein de l’humanité ne viennent pas de l’extérieur, mais sont liées au sentiment, à la pensée et à l’action de l’individu. Aussi discrète que soit la vie de ces personnes, les fruits de leurs efforts n’en sont pas moins les contributions les plus précieuses qu’une génération puisse apporter à ses successeurs. »

Et l’action d’Emmy Noether, sa pensée et sa bienveillance envers son prochain la place définitivement dans cette catégorie.

hr - nobELLES

Lili - Je trouve qu’Emmy Noether est absolument fascinante. Elle incarne selon moi le cliché du scientifique fou dans le sens qui s’oublie complètement lui-même, qui est entièrement absorbé par sa quête au point où son apparence, sa réputation, sa sécurité même devient secondaire. Elle donnait carrément des cours à des étudiants nazis alors qu’elle était juive. Imaginer être capable de discuter avec des personnes qui ont comme idéologie de vous éliminer. Aujourd’hui, ça nous semble souvent difficile de discuter avec des gens qui ne pensent pas comme nous. On se polarise rapidement, a-t-on l’impression. Y a-t-il des leçons à tirer de la manière dont Emmy Noether était capable de s’oublier et de la manière dont elle était capable de communiquer? J’en discute avec Geneviève Boileau, qui a une maîtrise en psychologie et qui est formatrice en communication non violente chez Spiralis. Geneviève Bonjour.

Geneviève - Bonjour Lili.

Lili - Est-ce que tu es d’accord avec moi de ce que tu sais d’Emmy Noether de son histoire? Est-ce que tu as cette impression aussi que c’était quelqu’un qui n’avait pas d’ego et que c’est pour ça qu’elle était capable d’enseigner à n’importe qui comme elle le faisait?

Geneviève - C’était, de ce que j’ai lu, puis de ce que tu en dis. Ce n’était définitivement pas une personne qui plaçait l’image d’elle-même ou l’histoire qu’elle se racontait d’elle-même de l’avant. Ce n’était pas quelqu’un qui semblait vouloir chercher à protéger ça coûte que coûte dans les yeux d’autrui. Définitivement, elle avait l’air branchée sur des choses qui étaient puissantes et vivantes à l’intérieur d’elle. C’est ça qui la stimulait, qui la drivait là.

Lili - Je sais que ce n’est pas tout le monde qui a la même définition de c’est quoi l’ego, peux-tu me donner la tienne?

Geneviève - Je dirais que l’ego, c’est l’histoire qu’on se raconte de soi-même, c’est quelque chose qui s’installe au fur et à mesure qu’on grandit pour un peu servir de pare-feu entre soi et l’environnement. Dépendamment de nos expériences de vie, on va commencer à se raconter des choses sur soi. Puis ça va juste nous permettre de vivre avec un petit peu de moins de souffrance, les aléas de la vie. Par contre, quand ça se cristallise, puis qu’on commence à faire des choix seulement à partir de notre ego, c’est moins branché dans ce qui nous, ce qui nous tient en vie, ce qui est puissant, ce qui est nourrissant, ce qui est plus intime à soi-même. Puis on est plus à prendre des décisions qui sont mentales en fait.

Lili - J’entends souvent parler par rapport à l’ego des masques de l’ego, ça peux-tu m’en parler?

Geneviève - En fait un masque, on a toutes des rôles sociaux, on a un masque au travail, on a peut-être un masque dans notre vie en communauté, dans notre voisinage. Il y a comme quelque chose qui se place dans l’interface pour qu’on ait l’air de quelque chose.

Lili - C’est ça ce que tu dis, dans le fond, quand tu dis qu’on se raconte des choses sur nous-mêmes.

Geneviève - Ouais, par exemple, si moi, mon histoire de moi-même, c’est que je suis une bonne élève, une bonne mère, puis que je performe dans la vie, je vais, je vais, puis que je me définis comme ça, que c’est super important pour moi d’atteindre un certain niveau de «je fais la bonne chose», je vais agir à partir de ça, mais peut-être pas par rapport à quelque chose qui est plus sensible à l’intérieur de moi. Et ça va être moins souple. Je vais moins me laisser influencer par ce qui est dans mon environnement, par d’autres messages. Je vais moins être souple dans ma façon de grandir comme un être humain.

Lili - Ça peut nous nuire dans le fond, notre propre ego, nos propres, notre propre vision de nous-mêmes. Parce qu’à la base, comme tu dis, c’est pour s’éviter de la douleur qu’on se raconte ce discours-là sur nous-mêmes.

Geneviève - Ouais c’est pour s’éviter la douleur. Mais à un moment donné, il y a comme quelque chose qui s’installe dans « si je ne fais que prendre des décisions à partir de ce que je me dis, des situations, de ce que je me dis de moi-même, mais que je ressens plus.» Parce que les êtres humains, on est des êtres d’émotions, de besoin, d’aspirations, de valeurs. Et souvent, on va partir avec un narratif de nous-mêmes qui devient rigide. Ça fait que si je commence… Là, je repars avec « bonne élève ». Ba là, si je ne fais que me diriger à partir de mon idée que je suis une bonne élève, bah je vais seulement faire des choix qui vont dans cette direction-là. Puis, même si j’ai du feedback qui ne va pas dans cette direction-là, je vais le rejeter.

Lili - Par exemple, si tu échoues à un examen.

Geneviève - Par exemple, je vais peut-être me dire que c’est le prof qui n’avait pas d’allure. Qu’il y a d’autres éléments, mais je ne vais pas regarder! Voyons! Qu’est-ce que moi je peux apprendre de ça? Puis comment je peux me repositionner comme personne? Mais je vais juste rejeter ce qui ne fonctionne pas avec ça. Et je vais faire des choix pour toujours aller dans cette direction.

Lili - Tu te mets à blâmer des éléments extérieurs à toi plutôt que…

Geneviève - … de me remettre en question.

Lili - te remettre en question. OK, puis c’est pour ça aussi que j’imagine que l’ego, ça nuit souvent en société. C’est parce qu’on finit par attaquer les autres pour se défendre, défendre notre identité, qu’on a construite.

Geneviève - Vraiment et plus on a un gros ego, plus il est facilement menaçable, plus on se sent facilement menacé par du feedback qu’irait pas dans la direction de l’histoire qu’on se raconte sur soi. On se débat là-dedans, puis on se débat d’une façon qui est, comme tu sais, de survie identitaire. Non, non, non, non, tu ne peux pas me dire ça parce que moi, ce que je sais de moi ce que je me raconte sur moi-même, et là on devient hyper rigide, un être humain ça grandit à partir de sa perception de ce qui se passe autour de lui et de ce qui se passe dans ses relations, du feedback de la part de personnes proches et importantes. Et là, on bouge, on évolue, mais quand c’est rigide et que notre ego prend toute la place, il n’y a plus cette souplesse. On s’enferme dans quelque chose qui est vraiment petit et inconfortable en fait.

Lili - J’imagine que quand on dit qu’on bâtit notre ego pour éviter des douleurs, c’est aussi parce qu’il faut se protéger aussi des fois de l’environnement. Des fois, l’environnement est effectivement menaçant sur le plan psychologique. Moi, je pense tout le temps, comme par exemple à.. Supposons qu’on prend une bonne élève, mais qu’on prend un bully aussi, comme à l’école, quelqu’un qui essaie de l’intimider, quelqu’un qui n’est pas fin et j’imagine que ça peut être bon dans un cas comme ça, d’avoir un ego qui fait que la personne va se dire «Ah oui, je me fais insulter par cet autre élève, mais ce n’est pas grave parce que je suis une bonne élève. Moi, je suis à mon affaire. Je suis peut-être une petite nerd, mais en même temps, je suis comme…» Ça, ça sert à ça aussi.

Geneviève - Mais dans le fond, ce que tu dis, c’est qu’il y a un ego. Ça a aussi un bon côté. S’il y a une utilité à avoir un ego, c’est ça?

Lili - Oui, ça peut être les deux dans le fond, ça peut être bon ou mauvais, ça peut nous nuire ou nous aider.

Geneviève - Vraiment, vraiment. C’est une question de la place que ton ego prend à l’intérieur de ce qui cherche de l’information, de ce qui prend des décisions, de ce qui va choisir des orientations de vie à l’intérieur de soi. Si l’ego, c’est une partie et tu peux la reconnaître puis voir que : « Ah, OK là, c’est ça qui s’exprime ». OK, mais il y a plein d’autres choses aussi. C’est pas mal plus facile ou intéressant ou nourrissant de regarder son ego comme une partie qui vient prendre soin de nous.

Mais un ego en fait, ce que ça permet, ça permet aussi d’interagir en société. En fait, quand on est plusieurs à interagir ensemble, on veut quand même… L’ego, ça nous permet aussi de respecter des règles, des lois et des consensus sociaux un peu plus facilement que si on n’en avait pas du tout. Puis que tout le monde est complètement branché dans son énergie, puis fait à partir de ce qu’il trouve nourrissant parce que là, des fois ça s’entre choque. Ce que moi je trouve nourrissant ce n’est pas nécessairement ce que toi tu trouves le fun. Puis c’est là qu’on va avoir de la difficulté, mais si on se dit OK, ba moi dans le cadre de mon travail voici mon rôle, puis mes fonctions. Je m’identifie à ça, puis toi, t’as d’autres rôles, d’autres fonctions. Ba là, on a comme des codes à partir desquels on peut mieux se comprendre.

Lili - Est-ce que tu as l’impression que les hommes et les femmes ont un rapport différent à l’ego? Parce qu’en me renseignant sur les histoires des femmes scientifiques dont on parle dans le podcast, je trouvais souvent qu’elles s’effaçaient beaucoup et elles avaient l’air des fois de Emmy Noether littéralement, elle laissait ses élèves qui étaient des garçons, les laissait publier les résultats de ses réflexions à elle, de ses théories à elle. Puis c’était leur nom à eux qui se retrouvait sur les papiers publiés. C’est eux qui avaient en fait la gloire et la reconnaissance du milieu. D’autres femmes scientifiques aussi ont fait ça, ont comme un peu laissé aller, se sont dit c’est pas si grave que ça ne soit pas mon nom, donc c’est ça, je me demande, est-ce que les femmes et les hommes ont un rapport différent à l’ego dans la manière dont on est socialisé?

Geneviève - Je pense que oui, parce qu’il y a quelque chose dans les impératifs sociaux, les diktats, les normes d’un temps. Là bon, Emmy Noether, on parle d’il y a quand même un moment. Puis il y avait une façon de socialiser les femmes qui était complètement différente, socialiser les hommes aussi. Et encore aujourd’hui donc, il y a quelque chose dans comment est-ce qu’on s’identifie à une image? De quoi ça a l’air? Une femme scientifique ou de quoi ça a l’air une femme, point. Ça fait qu’on va aller s’identifier à ça, et se créer un masque à partir de ce qui est disponible un peu dans la société comme possibilité s’il y a des possibilités qui sont plus proches de ce qu’on conçoit pour les hommes. Mais les hommes vont aller chercher, puiser dans leur ego, dans ces possibilités-là et les femmes vont aller choisir dans d’autres possibilités.

Lili - T’as entendu parler du mouvement Kill your ego, Tuer son ego. Moi, j’ai entendu parler de ça dans le milieu des technologies, beaucoup ou dans le milieu des affaires, les gens disent qu’il faut éliminer notre propre ego pour mettre de l’avant réellement des causes ou des objectifs, ou comme pour, pour être en quelque sorte un bon humain aussi même faut tuer notre propre ego. Donc ça serait une des manières de, en tous cas peut-être pas de tuer, mais de remettre notre propre ego à sa place. Ce serait de se questionner, d’aller chercher c’est quoi le besoin qui est derrière notre rigidité?

Geneviève - C’est de recontacter son authenticité, en fait. Moi, ce que j’entends, Kill your ego, c’est tasse du chemin l’image ou l’idée que tu te dis de toi même pour aller vers des valeurs, des aspirations profondes qui font vraiment du sens pour toi et qui te permettent de contribuer à la vie d’une manière qui va avoir du sens, qui va avoir du sens pour toi, qui va avoir du sens autour de toi, versus ce que tu penses que ça devrait être. Et il y a beaucoup plus de réponses quand on regarde à l’intérieur de soi. Comment est-ce que j’ai envie de contribuer? Tu parles de cause, qu’est-ce que j’ai envie de nourrir? Qu’est-ce que j’ai envie de faire? Qui fait du sens? Où est-ce que? Où est-ce que mes forces, ma passion, comment je veux allouer mon énergie, comment je peux le faire pour que ce soit plus simple? Si ça l’est pour moi, ça va nécessairement l’être autour de moi.

Lili - T’es formatrice en communication non violente, est-ce que l’ego intervient dans la communication t’as l’impression?

Geneviève - Oui, définitivement. Oui. J’ai envie de peut-être faire un petit «mais qu’est-ce que la non-violence là? Parce que des fois, ça fait sourciller quand on entend…

Lili - Oui, même l’expression « c’est quoi la communication non violente?  C’est quoi la communication violente? Peux-tu m’expliquer? »

Geneviève - Oui, en fait, cette approche-là a été fondée par Marshall Rozenberg, qui est un psychologue humaniste américain. Et son idée, c’était d’amener plus de paix en fait, d’amener plus de paix à l’intérieur de soi et donc dans nos relations et dans le monde en général. Comment est-ce qu’on peut développer un art du dialogue qui crée de la confiance, de la collaboration, de la co-créativité, par opposition à nos modes habituels de communiquer qui sont… là on dit violents, mais on parle de pas juste des grandes atrocités du monde, puis des agressions en tant que telles. Mais de toutes nos façons de se parler qui créent de la déconnexion, se blâmer, se critiquer, chercher qui a commencé et chercher c’est qui le coupable, qui ne sont pas vraiment intéressant pour faire évoluer des situations puis prendre soin de nos relations. Donc l’ego là-dedans, si je le ramène, c’est… L’ego ne va pas dans le sens de créer de la connexion. Il y a un disconnect parce que la connexion se passe au niveau de ce que je ressens, ce qui est mon élan et mon énergie, puis ça, ça se passe dans le corps, ça se passe dans mes émotions. Versus, dans ce que je me dis dans ma tête. Et on irait vers pas éliminer nécessairement l’ego en communication non violente, mais conscientiser. Quand est-ce que c’est lui qui parle Oh, OK attend minute, qu’est-ce qui est précieux pour moi? Qu’est-ce que j’essaie de protéger en dessous de ça quand je choisis de me défendre un peu dans mon identité? Oh, attend minute, peut-être qu’il y a un petit besoin de sécurité, sécurité émotive. Ok, qu’est-ce qui se passe? Qu’est-ce que j’ai envie de faire à propos de ça?

Lili - Je veux revenir à mon exemple du bully parce que, là j’entends ça et je me dis, mais oui, ça fait du sens. Mais d’un autre côté, si tu communiques, si tu essaies de faire la communication non violente avec quelqu’un qui fait de la communication violente. Qu’est-ce qui se passe? T’es un peu dans un cul-de-sac?

Geneviève - Pas nécessairement. On a tout le temps trois choix en communication non violente. La première option, c’est d’écouter l’autre. Ils ne sont pas nécessairement en ordre de priorité. Tu n’es pas nécessairement obligé d’écouter. Mais une option, ça serait d’écouter. OK, qu’est-ce qui se passe pour l’autre pour qu’il agisse de cette manière-là? Il essaie peut-être de protéger quelque chose? Il y a quelque chose de sensible pour lui. OK, c’est quoi cette chose-là? Ça fait que là je serais en écoute. Une autre possibilité, c’est de m’exprimer de façon authentique “Hey, ceci ne me convient pas. Est-ce qu’on peut trouver d’autres façons de faire?” Et on peut aussi sortir de la conversation, mais en prenant soin de soi. Et l’autre option, c’est l’auto-empathie. Wow! Ça me fait de l’effet cette chose-là. Qu’est-ce que j’ai envie de faire, moi, pour peut-être vivre plus de compassion, de bienveillance dans le monde? Si moi je me sens pas confortable dans cet espace là où est-ce qu’il y a quelqu’un qui s’adresse à moi d’une façon qui ne me convient pas?

Lili - Donc au final, on se recentre quand même sur soi-même dans deux des trois options, on se questionne sur nous qu’est-ce que ça nous fait? Puis après ça, on prend la décision qui est la meilleure pour nous?

Geneviève - Exact.

Lili - Quelle place tu penses que l’ego a dans notre culture en ce moment, notre culture contemporaine, réseaux sociaux y compris, individualisme compris? Est-ce qu’on est, est-ce qu’on est à une époque de l’histoire, particulièrement égocentrique?

Geneviève - Je pense que ça prend vraiment beaucoup de place en ce moment. Il y a tellement de façons. Quand je disais que l’ego, c’est qu’est-ce que je veux projeter? Comment est-ce que je renforce l’image que les autres ont de moi et mon propre narratif? On a tellement d’outils pour aller dans cette direction-là en ce moment. En fait, c’est encouragé, on recherche une approbation. Puis Marchall Rozenberg parlait du besoin toxique d’approbation. Ça nous déconnecte de nous-mêmes complètement d’aller chercher à l’extérieur de soi cette approbation constante. On devient en complète motivation extrinsèque. Donc, à l’extérieur de soi-même, on n’est plus connecté à ce qui se passe à l’intérieur et on se retrouve à vivre des vies qui nous ressemblent pas en fait. On est juste focalisé sur l’extérieur.

Lili - Qu’est-ce que tu conseillerais à quelqu’un qui réalise ça, qui réalise “Ah oui, moi je suis beaucoup dans l’approbation externe dans cette recherche-là”? Ce serait quoi comme les premières étapes que la personne peut faire pour se décrocher de ça?

Geneviève - Replonger, reconnecter à la recherche de qu’est-ce qui me nourrit vraiment? Qu’est-ce que j’aime profondément? Et j’ai des clients en coaching qui, quand je leur demande ce qu’ils n’aiment pas, ils peuvent me faire une liste interminable. Et quand je leur demande Et qu’est-ce que tu aimes? Qu’est-ce qui te fait comme wow? Qui te passionne, qui te fait? Et pourquoi est-ce que tu te lèves le matin? Ils sont même plus sûrs de prendre le temps de juste regarder. Wow! Qu’est-ce qui me fait ça? Puis de passer par son ressenti. Qu’est-ce qui me fait là? Là, je prends une grande respiration et je me touche la poitrine en disant comme juste Wow, OK, ça, j’aime ça comme je reconnecte à mon cœur en fait, ça, ça me nourrit. Est-ce que c’est quand je jardine dehors, et que je passe du temps avec des amis? Est-ce que c’est quand je prends le temps de jouer avec mes enfants plutôt que chercher une autre activité ou la prochaine sortie? Ou peu importe. Mais qu’est-ce qui me nourrit puissamment? Ce n’est pas obligé d’être des choses super compliquées. On peut commencer juste par en identifier peut-être trois choses cette semaine qui m’ont apporté du doux, du chaud, plus d’amour.

Geneviève - Quand on dit que le corps ne ment pas, c’est que notre corps nous donne des indications sur ce qui se passe pour nous. Puis, comment est-ce qu’on peut se diriger vers quelque chose qui fait plus de sens pour nous? Par exemple, la joie. On dit que c’est l’émotion du sens de la vie, si tu ressens la joie dans certaines sphères, quand tu fais certaines activités avec certaines personnes… Ok comment tu peux même te diriger pour en avoir plus, en vivre plus de ça. J’ai un exemple plus personnel. Moi, quand je me disais qu’il y avait, que j’avais un type de personne, que j’avais un type d’homme qui me plaisait, mais c’était définitivement une construction mentale.

Lili - Ah oui?

Geneviève - Ah oui, c’est définitivement une construction mentale de “Ah, moi, ça, c’est mon genre”. Mais quand on dit ça, là, je me dirigeais en disant “Ah, ça, c’est mon genre, ça, c’est moi et mon genre”. Et en fait…

Lili - Ouais, Ouais, comme avec une liste de qualités que tu recherches. Tu t’es rendu compte que finalement elle ne tenait pas la route?

Geneviève - Non. Je me sentais en présence de ce genre de personnes là, en fait, je me suis rendu compte que mon corps était super stressé puis activé d’une façon qui ne me plaisait pas, mais c’est à force de développer plus finement ma capacité de me ressentir, en fait, c’était assez subtil, comme un petit inconfort dans le ventre. Qu’est-ce que c’est que ça?

Lili - Comment ça se fait alors quand on se construit cette idée-là, qu’on a un genre?

Geneviève - Écoute il y a, on a toutes sortes d’expériences de vie qui font “Ah, mais oui, j’aime ça.” Mais c’est souvent des choses qu’on se dit mentalement. J’aime ça. Mettons son humour à cette personne là, ou j’aime les gens qui prennent la place ou j’aime si j’aime ça. Mais quand ça devient déconnecté de comment moi je me sens au contact de ces personnes-là, puis que ça devient juste un… “Ah moi c’est ça que je cherche!” Et qu’on ne revient pas à notre ressenti. On se dirige avec ce qu’on se dit dans notre tête. Peut-être qu’au début, il y avait un bien, il y avait un lien en fait, comme “Ah, oui, l’humour, moi, j’aime ça”. Oh oui! Oui, j’aime les gens qui s’expriment “Ah, ça c’est le fun”, comme ça, on peut comme communiquer c’est agréable.

Lili - Ouais, Ouais, Ouais.

Geneviève - Mais moi, j’évolue et je grandis aussi. Est-ce que c’est encore vrai? C’est une question qu’on peut vraiment se poser. Est-ce que la façon que je fais des choix en ce moment, est-ce que c’est encore vrai pour moi? La seule façon, c’est d’aller voir dans notre corps.

Lili - Je serais curieuse de savoir Geneviève comment toi tu t’es rendue à être une formatrice en communication non violente?

Geneviève - Mais moi, je t’ai dit que j’étais vraiment une très bonne élève, que je voulais vraiment être une bonne maman. J’ai fait la formation à partir du moment où j’étais enceinte. J’ai suivi des formations à parentalité positive, donc une manière d’interagir avec nos enfants qui est au-delà de la punition-récompense. Mais comment est-ce qu’on peut construire une relation riche avec nos enfants, puis mieux comprendre leur développement et au début, j’étais vraiment dans une optique de “Ceci allait me permettre d’être encore une meilleure élève et une meilleure mère.” Et je me suis rendue compte en fait, j’ai atterri dans une formation qui était donnée par maintenant, mon collègue Guillaume Lanctot Bédard, qui m’a enseigné l’introduction au dialogue authentique ou à la communication non violente. J’ai commencé ce parcours-là et là, j’ai réalisé que la meilleure chose que je pouvais faire et pour moi et pour influencer mes enfants, contribuer positivement, c’était de mieux reconnecter avec moi. À ce qu’est-ce qui fait du sens de manière puissante? Et que c’est ça que j’avais de mieux à offrir, mais pas juste à eux, à moi, au monde, peu importe où. Et j’ai tellement adoré cette approche, c’est tellement bon de goûter à quelque chose qui ressemble à de la responsabilité pour soi, à du pouvoir personnel, puis à pouvoir mieux s’orienter dans la vie de manière à mieux goûter son expérience et en profiter que je me suis dit Woaa je n’ai pas envie de faire autre chose. C’est ça que j’ai envie d’amener dans le monde, comment on peut reconnecter à soi comme ça.

Lili - Goûter son expérience.

Geneviève - Mieux s’habiter soi-même. C’est tellement riche.

Lili - Merci beaucoup Geneviève.

Geneviève - Merci Lili.

Emmy Noether était une femme originale, que ni le sexisme de son époque, ni les conventions sociales n’allaient arrêter. Elle ne cherchait pas à plaire. Elle n’avait pas besoin de l’approbation des autres. À une époque dangereuse, extrêmement polarisée, elle est restée fidèle à elle-même et à ce qui l’animait.

Et si, comme elle, on laissait un peu de côté l’attrait de la validation externe, et qu’on s’intéressait davantage à ce qui nous fait vibrer de l’intérieur? Peut-être que l’on connecterait tous un peu mieux, avec nous-mêmes, comme avec les autres…

C'était nobELLES

Une production du Planétarium de Montréal en collaboration avec Extérieur Jour
Ce balado est un concept et une réalisation de Lili Boisvert
Idéatrices Camille Janson-Marcheterre, Sandy Belley, Laurence Desrosiers-Guité
Basé sur l’exposition nobELLES de l’artiste MissMe présenté au Planétarium un musée d’espace pour la vie

  • Directrice de projet : Alice Renucci
  • Productrices : Elodie Pollet & Amélie Lambert Bouchard
  • Monteurs et concepteurs sonores : Benoît Dame & Jérémie Jones
  • Musique : Bam Music

Merci aux intervenantes et aux intervenants pour leur générosité et leur franc parler. 

Nous vous invitons à nous suivre pour un prochain épisode. 

Merci!

Add this

Partager cette page