Histoire d'une reproduction assistée

Deux grammes, c’est le poids de la plus petite des onze espèces de grenouilles vivant au Québec... mais pour combien de temps encore? Important maillon de la chaîne de la biodiversité, la rainette joue un rôle écologique unique. Elle dévore quantité d’insectes et est elle-même une proie pour plusieurs autres animaux. Accepter de la voir disparaître, c’est accepter de fragiliser cette chaîne dont nous, humains, faisons aussi partie...

Une rainette au chant démesuré!

Au Canada, la rainette faux-grillon est présente à l’extrême sud de l’Ontario et du Québec, portion la plus nordique de son aire de dispersion, la majorité de la population se retrouvant aux États-Unis. Les accouplements se déroulent en avril, après que les mâles, réunis par centaines dans des étangs en forêt, y aient attiré les femelles par leur chant assourdissant. Les œufs pondus se transforment en têtards en six jours. Quelques semaines encore, et les grenouillettes sortent des étangs.

Une population québécoise en chute libre

1950 : des centaines d’étangs en Montérégie regorgent de milliers de rainettes et leurs chants résonnent partout. 2000: la rainette faux-grillon est classée « espèce vulnérable » au Québec, puis « espèce menacée » au Canada par la COSEPAC, en 2010. Les scientifiques du ministère de la Faune estiment que plus de 90 % de cette espèce ont disparu. Les populations survivantes sont loin d’être sauvées. Souvent localisées sur des terres privées, elles sont toujours menacées par l’étalement urbain et le drainage des terres. De petites populations locales et isolées subsistent encore, ce qui empêche les échanges génétiques essentiels à leur survie à long terme.

Reproduire la rainette en captivité

Le Biodôme a fait les premiers essais pour reproduire cet anoure en 2008. Avec l’aval du ministère de la Faune, une petite population de têtards a été élevée dans les locaux du Biodôme. Après avoir hiberné dans les frigos du sous-sol, les grenouilles ont été placées dans de gros bacs naturalisés. Aucune reproduction n’a eu lieu. Les années suivantes, même avec l’ajout de spécimens récoltés des milieux humides menacés par la construction, et malgré tous les efforts faits pour recréer le milieu naturel (pluie, bruine, changement de température et d’éclairage...), rien. Au début de 2014, l’équipe du Biodôme est entrée en contact avec le Dr Vance Trudeau, un professeur chercheur en endocrinologie à l’Université d’Ottawa dont les travaux récents nous interpellent. Il a développé une méthode pour reproduire les batraciens qui a eu beaucoup de succès avec, entre autres, la grenouille léopard, elle aussi difficile à reproduire en captivité. Enthousiaste à l’idée de reproduire une nouvelle espèce, de surcroît menacée, il a participé à l’élaboration de son « philtre d’amour », un mélange d’une hormone et d’un antagoniste de la dopamine.

Des chants... et plus!

Une petite injection, et voilà que les mâles se sont mis à chanter en chœur, puis les accouplements ont suivi. En 24 heures, des centaines d’œufs ont été pondus. Présentement, environ 600 têtards finissent leur croissance au Biodôme, et quelques-uns ont débuté leur métamorphose en grenouillettes. Un succès qui dépasse nos espérances!

Une béquille, mais…

Notre but ultime est de reproduire toutes les espèces sans l’aide d’artifices, mais quelquefois, les bonnes conditions restent encore à trouver. Nous savons maintenant que pour obtenir une grande quantité de rainettes faux-grillon, nous pouvons compter sur cette méthode hormonale facile et non stressante pour les animaux. Nous voulions reproduire les rainettes pour un éventuel projet de recolonisation des milieux naturels désertés, mais adéquats pour l’espèce, en accord avec le ministère et le Plan de rétablissement au Québec... et nous sommes très satisfaits du résultat!